Simone et René sont confortablement installés dans l’Auditorium. Le concert va bientôt commencer… La salle est pleine, la soirée prometteuse.
Simone a du mal à tenir en place. Elle ajuste puis retire ses lunettes. Regarde les derniers spectateurs entrer, en choisit un au hasard et le suit des yeux jusqu’à ce qu’il soit assis. Puis elle reprend son jeu avec ses lunettes, regarde René en coin, se penche vers lui et déclare :
- Elle a grossi Madeleine. Ouh la la elle est comme ça, Poufffffffffffff. Et Simone gonfle ses joues en regardant son époux.
René qui était concentré sur la lecture du programme, lève un regard distrait sur sa femme.
- Ah oui dis donc. Puis il reprend sa lecture ; impassible.
Mais Simone a envie de parler, alors elle continue :
- Elle est toute bouffie, on croirait qu’elle est sous cortisone !
René, cette fois ne lève pas les yeux et murmure :
- la boisson, ça ne l’arrange pas non plus.
- Tu l’as dit ! Et qu’est-ce qu’elle boit la pauvre Madeleine. C’est pas bon et puis c’est mauvais pour les artères.
Les lumières s’éteignent doucement. René lève la tête et se redresse dans son fauteuil en position d’écoute attentive. Simone elle, semble contrariée d’être ainsi interrompue, puis son regard se fixe sur la scène. Les musiciens entrent silencieux sous les applaudissement respectueux des spectateurs.
Ils accordent leurs instruments et bientôt le chef d’orchestre fait son entrée à son tour sous l’accueil chaleureux du public.
Le silence est total, presque palpable dans l’attente des premières notes qui bientôt transporteront cette salle dans leur voyage musical.
Simone toussote, sous le regard désapprobateur de son voisin de droite. René lui, semble totalement captivé par cette ouverture de Bach et son attitude totalement fermée au monde qui l’entoure semble calmer quelque peu notre Simone qui se cale dans son fauteuil dans une position apparemment résignée.
S’il n’y avait qu’elle, Simone ne serait pas sortie ce soir. Elle ne partage pas l’intérêt de son mari pour la musique classique mais rester seule à la maison est au dessus de ses forces. Alors elle accompagne René et chaque fois, tente vainement de s’intéresser. Car c’est qu’elle l’aime son petit mari et ne veut pas le décevoir. Après quarante cinq ans de mariage Simone nourrit toujours un amour sans faille pour l’homme qui partage sa vie.
Alors elle fait de grands efforts notre Simone et parfois même, parvient à ressentir la musique en elle.
Souvent, elle contemple discrètement le visage de René cherchant à percer ce secret qui rend son visage si épanoui, un peu jalouse aussi de ce plaisir intense qui lui est étranger. Quand elle l’observe ainsi, elle tente à son tour de se donner aux accords puissants des instruments, dans une attente aussi avide que vaine.
A cet instant Simone ne bouge plus un pouce. Immobile elle écoute. Mais comme elle ne parvient pas à faire le vide dans sa tête, elle se récite quelques règles. « je ne dois pas applaudir entre les mouvements ». « je ne dois pas parler non plus »…
Les dernières notes de cette magnifique ouverture viennent à peine de mourir que les applaudissements fusent. Simone se détend. Elle peut enfin bouger un peu.
- Elle joue bien la dame là mais elle fait un drôle de son sa flûte !
Le retour du silence ayant été plus rapide que la voix assez forte de Simone, personne n’a pu échapper à ces derniers propos. Quelques personnes assises sur la rangée juste devant se retournent les yeux fusillant notre pauvre coupable qui, ne se rendant pas compte du malaise, poursuit :
- Hein René tu ne trouves pas ?
René, après un regard d’excuse aux spectateurs furieux, pose doucement sa main sur celle de son épouse dans un geste presque paternel. Conciliant, Il glisse à son oreille :
- C’est un hautbois chérie.